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A Beni, la mobilisation contre Ebola nourrit les suspicions

Quand on écoute le nom de « Beni », à environs 350 Km au Nord de Goma, à l’est de la RDC, l’idée qui vient en premier est que même une mouche ne peut plus y étendre ses ailes pour s’envoler. En cause, des incursions répétées des rebelles ougandais de l’Allied Democratic Forces, les ADF. Des citoyens lambda émettent aussi assez d’hypothèses et d’hésitations pour s’y rendre. Depuis l’apparition de l’épidémie de virus à Ebola, l’histoire de la guerre semble disparaître. Tout le monde se mobilise. Une mobilisation qui peut nuire à la lutte contre la maladie.

Des agents de riposte en préparatif pour la prise en charge des malades
Des agents de riposte en préparatif pour la prise en charge des malades © Photo Umbo Salama

Les dispositifs de riposte contre Ebola impressionnent. Des kits de lavage des mains sont à chaque porte d’entrée : à l’entrée des villes de Beni et Butembo ainsi que des certains villages du territoire de Beni et Lubero, devant les portes des églises, bureaux, boutiques, banques, écoles, prisons, stations de radio et même des résidences privées. Des messages de prévention contre Ebola passent en boucle dans sur les radios locales. Aucun discours ne vaut la peine s’il ne porte pas sur Ebola.

Des véhicules, équipés d’antennes de radio-transmission « high Codan » avec des autocollants des ONG internationales, régionales et nationales, et qui roulent à grande vitesse, sont visibles dans toutes les rues, avenues et routes de cette zone. « Voici plus de quatre ans que des assaillants nous massacrent ici à Beni, avec plus de mille morts, mais on a jamais vu une telle mobilisation pour nous porter secours ou pour nous protéger. Mais pour moins de 50 morts, voyez vous-même la mobilisation », s’exclame Kambale Kanzira, en voyant un cortège des véhicules de riposte contre Ebola qui se dirige à l’aéroport de Mavivi, pour accueillir le ministre de la santé, mercredi 19 Septembre.

Trop de mobilisations nuit à la riposte

Depuis la déclaration de l’épidémie du virus d’Ebola à Mangina, à environ 30 Km à l’Ouest de Beni, dans la zone de santé de Mabalako, les agents de riposte font face à plusieurs difficultés. Certaines familles empêchent des agents de riposte d’enterrer des corps des morts par virus d’Ebola. D’autres, s’interposent contre la vaccination… Des membres de la société civile qui exigent la présence des relais communautaires locaux, le partage équitable de la prime pour les locaux comme les expatriés… Des soulèvements qui vont jusqu’à la destruction des engins, des élèves qui quittent les classes à l’approche des sensibilisateurs… Autant d’indicateurs qui ne favorisent pas la riposte.

Séance de sensibilisation sur les mesures d'hygiène
Un agent du ministère de la santé sensibilise sur les mesures d’hygiène © Photo Umbo Salama

Il faut savoir que la question de la maladie à virus Ebola est une question de santé publique et qui demande plus de sensibilisation, de compréhension du contexte, coutumes, habitudes et croyances du milieu pour créer un climat de confiance entre la population locale et les prestataires de santé. Mais à Beni, l’intervention de toutes ces ONG fait croire à une question d’urgence humanitaire. Et qui dit urgence humanitaire, dit distribution des vivres et non vivres, et même de l’argent! Pour la première fois, des employés de l’union africaine arrivent aussi à Beni et Butembo.

Riposte ou « opération commando »

Le ministre de la santé arrive presque chaque semaine dans une zone qui enregistre les morts suite à l’incursion des ADF. Alors que son homologue de la défense a toujours délégué celui de l’agriculture et élevage et pour sensibiliser des groupes armés, tout simplement puis qu’il est originaire du coin. On a vu même le numéro un de l’OMS (organisation mondiale de la santé) arriver à Beni.

En cas de mort, par Ebola ou pas, des agents commis dans cette activité interviennent comme dans une « Opération Commando ». Un long cortège des véhicules 4X4, vient en grande vitesse. Des agents habillés en combinaisons descendent, bousculent tout le monde et commencent les prélèvements sans même conscientiser les membres de la famille. Même si la mort est survenue à l’hôpital, la même scène s’observe. A Butembo, j’ai assisté à une scène où le corps soignant d’un hôpital s’échange des paroles grossières avec l’équipe de riposte pour prélèvement sur le corps d’un malade qui venait de rendre l’âme.

Pour la population locale une interrogation persiste : Pourquoi autant de mobilisation pour Ebola et non contre les ADF ? Et donc, si la lutte contre Ebola connaît trop de résistances, il y a aussi ces paramètres que la population locale ne sait pas comprendre.

Lire aussi : Une offensive des ADF fait au moins 6 morts à Beni


Ramazani Shadary, une passerelle pour le troisième mandat constitutionnel de Joseph Kabila

Surprise du côté de l’opposition, de la majorité présidentielle et même de la société civile. Personne et encore personne n’avait pronostiqué Emmanuel Ramazani Shadary comme candidat de la plateforme électorale de Joseph Kabila, le  FCC (Front Commun pour le Congo), pour les élections présidentielles du 23 décembre 2018. Même Shadary n’avait pas pronostiqué sur sa propre personne. Quelle stratégie inattendue de Joseph Kabila pour ces élections !   

Profil de Shadary sur face book © Photo droit des tiers

Mercredi 8 Août, Joseph Kabila, désigne son Dauphin. Contre toute attente c’est le nom de Shadary qui est sorti. Selon Colette Braeckman, l’heureux nominé fut le premier à être surpris par la nouvelle. Informé par le président, Shadary fut tétanisé par l’émotion et faillit littéralement tomber de sa chaise, poursuit Braeckman, qui cite un témoin de la scène. Sur des réseaux sociaux et sur la scène politique nationale et internationale des réactions sont au rendez-vous.

Dans la majorité présidentielle, nombreux sont ceux qui applaudissent cette nomination sans la porter vraiment au cœur. Avant d’élever Shadary au rang du candidat du FCC, Joseph Kabila avait déjà demandé aux membres de ce regroupement électoral de proposer chacun quatre noms présidentiables. Les noms de l’ancien Premier Ministre, Matata Ponyo, et du Président de l’Assemblée, Nationale Aubin Minaku, sortaient en tête des listes. Mais Kabila a prouvé que lui seul maîtrise les mystères de l’existence du FCC. Dans l’opposition comme dans la société civile et la communauté internationale, c’est une étape franchie car Joseph Kabila ne va pas briguer un troisième mandat.

Difficile de décrire Shadary

Sur les réseaux, on déterre les souches ancestrales de Shadary, qui se trouvent au Maniema, pour le lier à la famille du président sortant. On va jusqu’à chercher sa ressemblance, du point de vue phénotype, avec feu Laurent-Désiré Kabila, ancien président de la RDC et père du président Joseph Kabila. Objectif : trouver les vrais mobiles du choix de cette candidature. « Une personne qui ne peut trahir et qui peut faire passer les intérêts de la famille avant toute chose ».

Mais cette thèse peut être plausible à celui qui n’a jamais suivi le film « président par accident ». C’est un film américain réalisé par Chris Rock et sorti en 2003. Pour un candidat président il fallait « trouver quelqu’un qui perdra à coup sûr aux élections. Ils choisissent Mays Gilliam, un politicien inconnu issu des quartiers pauvres qu’ils pensent pouvoir manipuler facilement. Mais si Mays est en lice, c’est surtout pour s’éclater. Il engage Mitch, son déjanté de frère, en tant que candidat à la vice-présidence, et mène avec lui une campagne des plus originales. Et ça marche : contre toute attente Mays arrive en tête des sondages ». Shadary pourra-t-il aussi être de ces genres de président par accident ? L’inattendu n’est pas aussi exclu. Car quand on s’habitue à surprendre, on finit aussi par se faire surprendre.

Auprès des citoyens ordinaires, Shadary est un inconnu. Une anecdote s’invite pour le décrire : « Si votre Grand-Mère vous demande qui est Emmanuel Ramazina Shadary, il faut dire que c’est l’homme qui avait demandé à la police de jeter des bombes lacrymogènes dans l’Eglise et d’arrêter des catholiques qui avaient osé manifester contre le troisième mandat de Joseph Kabila. Là, la Grand-Mère saura vite le nom de celui qui veut devenir président de la RDC ». En cette période Shadary était encore vice-premier ministre en charge des affaires intérieures, et donc le patron de la police. Il a été désigné candidat alors qu’il était à la tête du parti présidentiel, le PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie).

Le sénat, la dernière carte

A part féliciter Kabila qui ne brigue pas de troisième mandat, l’opposition, la société civile et la communauté internationale protestent contre la machine à voter. De son côté la CENI persiste dans l’idée que, sans machine à voter, pas d’élections. Difficile de trouver un compromis sur le recours à cette machine.

Quant à Kabila, il reste protégé par l’article 70, alinéa 2 de la Constitution, qui l’autorise à rester au pouvoir jusqu’à l’investiture d’un nouveau président élu. Aussi, si Kabila ne brigue pas le troisième mandat, il n’est pas interdit qu’il devienne président du Sénat. D’abord, la Constitution lui garantit le poste de sénateur en vie. Et en plus, avec sa fortune, il a des atouts pour être élu Président de cette chambre haute du Parlement. Il suffira que Shadary se déclare, au nom des intérêts de la famille, incapable d’assumer les fonctions du chef de l’Etat, pour laisser libre passage au président du Sénat. Retour de Kabila à la présidence de manière constitutionnelle.

Le choix de Shadary ressemble à un piège contre une candidature unique de l’opposition. Les chances qu’ont cette dernière de s’unir tombent à l’eau. Chacun pourra se prévaloir de battre Shadary à « plate couture » sans l’aide de qui que ce soit. D’où la dispersion des voix en faveur de ce candidat du FCC.


Ebola, cette maladie qui modifie nos conditions d’hygiène

Au début du mois d’oût, le ministère de la santé congolaise a déclaré la présence de l’épidémie d’Ebola dans la commune rurale de Mangina, à trente kilomètres à l’Ouest de la ville de Béni, en zone de santé de Mabalako,  en province du Nord-Kivu. Les médias se sont emparés du sujet, des sensibilisations sur l’hygiène pour prévenir la maladie et pour se protéger sont au rendez-vous. Dans les villes et les campagnes, des outils de prévention et de protection s’exhibent un peu partout, comme une nouvelle mode.

« Les africains ne meurent pas des microbes », cette phrase est souvent prononcée par des personnes qui se jettent sur tout ce qui se présente pour se nourrir, sans penser aux principes de base pour une bonne hygiène. Mais l’épidémie du virus d’Ebola vient de mettre un frein aux pratiques hasardeuses…. La ruée sur les viandes grillées dans la rue, dans des lieux publics ou devant les bistrots et cabarets décroit considérablement. Le respect des normes d’hygiènes s’impose d’elle même, sans besin d’une traque policière. On va même au-delà des normes exigées! On dirait même dire : « à quelque chose malheur est bon ». Car l’hygiène était le cadet des soucis pour de nombreuses personnes. Or, avoir une bonne hygiène de vie, c’est la base pour rester en bonne santé.

On voit désormais les gens porter des gants (ceux qui sont utilisés dans des structures sanitaires), on les voit portés sur toutes les mains, un peu partout : dans la rue, en milieu professionnel et dans des endroits publics, à Butembo et Béni, à l’Est de la RDC. Avec tous ces gants, on croirait presque à des enquêtes policières partout ! Ceux qui n’en portent pas sont vus comme des sous-informés. A l’entrée des bistrots et des boîtes de nuit, des kits sont proposés pour se désinfecter les mains avant de passer toute commande. Dans les restaurants et les hôtels,  mis à part le dispositif de désinfection des mains, le « self-service » n’est plus au rendez-vous.

Mais Ebola, ce n’est pas seulement une affaire d’hygiène pour survivre. C’est aussi l’occasion, pour les commerçants et les opérateurs économiques, de réaliser des bonnes affaires. Dans les officines de vente de médicaments et dans les supermarchés, les produits d’hygiène se raréfient alors que la demande s’accentue ancore. Et pour l’habillement, la mode est aux chemises à manche longue. C’est aussi ça la réalité d’Ebola !

Eviter des contacts avec des personnes malades

Nos liens sociaux et affectifs peuvent nous amener à toucher un proche déjà atteint d’Ebola. Serrer la main, embrasser, laver, donner des câlins… tous ces gestes de la vie courante sont à éviter en cas de virus Ebola, car ces gestes presque anodins peuvent nous coûter la vie. En cas de de deuil, il nous arrive de manipuler le corps de la personne morte (ou même les affaires lui ayant appartenu) sans trop de précaution, mais c’est une erreur car c’est ainsi qu’on attrape le virus Ebola.

Le problème vient de nos habitudes de vie et de nos usages. Par exemple, ne pas se serrer la main pour se saluer est mal interprété en société, y compris dans la zone de Béni-Butembo. Vous risquez d’être taxé de tous les maux de la société ! Surtout entre des personnes de différente génération. Certains essayent de contourner le problème avec de fausses solutions. Cela qui m’intrigue encore, mais j’ai vu plusieurs personnes qui pensent que la contamination passe uniquement par la pomme de la main (ce qui n’est franchement pas très logique…), on voit alors des gens se donner des coudes pour se saluer ! Mais ce geste aussi est à éviter ! Il faut vraiment éviter tout contact direct.

Depuis la déclaration officielle de l’épidémie, des commissions de mobilisation sociale de lutte contre la maladie intensifient les descentes sur terrain pour conscientiser la population. Au Ministère national de la santé on demande à tous d’éviter de toucher tout animal trouvé mort dans la forêt ou de consommer sa viande. Il faut également éviter de toucher sans protection le sang, la sueur, les urines ou les vomissures d’un malade ayant succombé ou d’un malde encore vivant, qui souffre d’une fièvre hémorragique virale. Plus vite seront appliquées ces mesures préventives, plus vite la propagation de la maladie sera arrêtée. Et si on observait continuellement ces règles d’hygiène, même après éradication d’Ebola, le taux des maladies pourrait sensiblement baisser.

Avec Ebola, le dicton qui dit que « prévenir c’est guérir » prend tout son sens. Respectez donc les règles d’hygiène et vous ne serez pas contaminés par le virus.


Kisangani sur la voie du journalisme web

Un clic sur www.Kis24.info suffit désormais pour suivre l’actualité ou pour comprendre la vision du monde par la population de la Tshopo (Une province située au Nord-est de la RDC) et environs. Trois jours (du mercredi 21 au vendredi 23 juin) avec des jeunes journalistes de cette province nous ont permis d’échanger sur des principes du journalisme web. Une expérience enrichissante.

Journalistes kis24.info

Dix journalistes viennent d’enrichir leur vocabulaire avec des concepts du journalisme web. Des expressions telles que « SEO (Search engine optimisation), liens hypertextuels, CM (Community manager), troll, pure-players, code embed, eye-tracking » font désormais partie de leur langage journalistique. Ernest Mukuli de MEPAD (Média pour la paix et la démocratie) et moi-même avons été sollicités pour faciliter la formation sur les fondamentaux du journalisme web.

En effet, le matin du mercredi 10 juin, je reçois un appel téléphonique. « C’est Steve Tisseron qui vous appel. Vous êtes à Butembo, au Nord-Kivu, mais moi, je suis à Kisangani (une distance de plus de 850 km, Ndlr), mais  Je vous sollicite de venir nous accompagner pour le lancement de notre entreprise médiatique en ligne, www.kis24.info, que nous voulons lancer. Comme média en ligne notre spécificité sera le journalisme d’investigation. Nous avons besoin de votre expertise ». C’est ici que je remercie l’Agence française de coopération médias (CFI), Code for Africa, Rue89 et d’autres agences et organisations pour une formation à distance de douze semaines de niveau maîtrise sur « Le journalisme web » dans le cadre du programme « Afrique Innovation, Réinventer les Médias ».

Média d’intérêts publics

Les initiateurs de kis24.info visent grand. Ils ne veulent pas rester dans le quotidien du journalisme congolais. « Couverture médiatique des allers et retours des politiciens ou des conférences de presse nous intéresse aussi. Mais nous voulons plus avoir des idées sur l’investigation journalistique », explique Steve Tisseron, un des initiateurs de ce média en ligne.

Lors des différents exposés, il fallait citer le journaliste Fabrice Arfi de Mediapart et qui est convaincu que le journalisme d’investigation, ça n’existe pas, c’est un appât. « Dès qu’on fait un travail de journaliste, c’est un travail d’enquête, d’investigation », précise-t-il. Cette explication oriente kis24.info sur la voie de « journalisme d’intérêts publics ou de solutions ». Il consiste à mettre en œuvre une approche journalistique qui apporte des solutions à des problèmes de la société. Cette nouvelle entreprise dans le monde médiatique congolais se veut un lieu d’expression des valeurs démocratiques et citoyennes.

En clair, c’est une forme de journalisme explicatif susceptible d’accomplir un rôle de vigie, en mettant en exergue des réponses effectives afin de stimuler des réformes ou changements. Toutefois, cette forme de journalisme fait appelle à une démarche d’information critique marquée par l’investigation. Dans cette logique, certaines informations seront publiées sous formes des feuilletons, avec un angle pour chaque épisode.

Cette entreprise médiatique naît pendant que le gouvernement congolais vient de signer un arrêter demandant aux sites qui publient des textes relevant de l’information de se conformer à l’article 57 la loi 96-22 du 22 juin 1996 fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse en République Démocratique du Congo.

Le chemin à parcourir est encore long

Tout voyage commence par un pas. C’est ce que vient de faire kis24.info. La pérennité et la viabilité de la presse en ligne, surtout dans un contexte du tout numérique où l’information est généralement accessible gratuitement au public, constitue des inquiétudes de certains qui ne se sont pas encore engagé sur la voie des médias web. Ainsi des séances sur la définition préalable d’une stratégie globale à court et moyen terme, voire à long terme, sont encore nécessaire voire impérieuses pour ce média. Il s’agit de leur parler de stratégie éditoriale et managériale d’un média en ligne. Le premier pas est là.


Michel Leroux : Ce blanc très attaché à la culture africaine

Michel Leroux est devenu un vrai bubolais (Habitant de Butembo) depuis son arrivée à Butembo en 1952, à environ 300 km au Nord de Goma, dans l’est de la RDC. Il est content quand on l’appelle «africain» et adore donner des conseils de sauvegarde de la culture locale. Très attaché à la solidarité africaine, son amour pour la terre  et sa facilité à s’intégrer auprès des paysans lui ont permis de se faire beaucoup d’amis.

Fabrce LEROUX à son bureau de trvail © Photo Umbo SalamaAgé de 80 ans, marié et père de cinq enfants dont trois avec une femme Nande (il aime le préciser), Michel Leroux est un blanc français très connu pour son langage humoristique et ses calembours (des jeux des mots du Kinande au français). « Butembo = But aime beau », aime-t-il clamer. Avec sa longue barbe blanche, gibecière suspendue à l’épaule, T-shirt enfilé, mocassins faits de pneus, Michel Leroux est un blanc spécial. Il était parti en France avant de revenir encore au Congo, et précisement à Butembo. « Il fallait revenir au continent pour redorer l’image du blanc ternie durant la colonisation », s’explique-t-il.

«Appelez-moi aussi Africain »

Préparé par ses parents pour devenir prêtre, le jeune Leroux voit naître en lui des ambitions d’agriculteur et éleveur lorsqu’il rencontre son oncle, qui vivait déjà au Nord Kivu, en 1952. Après quatre années passées dans un séminaire en France, son pays d’origine, Michel Leroux rejoint Gilbert Aimé, son oncle maternel à Butembo, à 300 km au Nord de Goma, dans l’est de la RDC. Il n’a alors que 17 ans. Son oncle Gilbert s’intéressait aux cultures des légumes et à l’élevage des petits bétails. Cette passion emporte son cœur. Adieu la prêtrise. Il se convertit à la vie paysanne.

Avec la vague des indépendances, il découvre que l’homme blanc se distingue dans la ségrégation raciale. Cette période l’a écœuré. Les fermes de son oncle sont vandalisées par ses anciens ouvriers. « Nous avions abandonné nos plantations, fuyant des tensions. Nous sommes allés jusqu’en Afrique du Sud. Mais là aussi régnait l’apartheid et ses affres. Les occidentaux doivent se condamner pour le manque de respect de la dignité humaine en Afrique », regrette-t-il.

En 1963, Michel Leroux décide de regagner la France. N’ayant pas de diplôme, il se lance dans le commerce du carburant. Sept années dures qui vont lui rappeler l’Afrique. L’Afrique qu’il regagne en 1970. « Ce qui me rattache plus à l’Afrique c’est cette solidarité, cet humanisme… La personne humaine a encore une grande valeur, est au centre de tout », explique-t-il. Leroux est toujours fier d’être appelé africain. « J’ai plus de 65 ans de vie en Afrique. Pourquoi ne pas m’appeler aussi africain », exige-t-il, sourire aux lèvres.

Retourner en Europe ? Ce n’est pas à l’ordre du jour en tout cas. Il appelle ses amis européens de venir découvrir le paradis africain, et de ne pas trop croire aux messages diffusés dans la plupart des médias qui dramatisent les situations des guerres du continent.

Très attaché à la terre 

Partout où il passe, Leroux appelle les hommes à ne pas oublier leurs coutumes et cultures locales (religion, médecine, nourriture, habillement, philosophie). Il a même construit des huttes à Mavono (environs 6 km à l’est de Butembo, sur la route Isale-Bulambo). Il prodigue des conseils sur l’importance de consommer les légumes, des plantes, des feuilles aromatiques… dans la médecine traditionnelle et même sur l’importance de la sage-femme. On l’a même taxé de féticheur.

L’oncle de Leroux avait acquis des terres mais ces dernières ont été spoliées. Ce qui l’inquiète. A Kyavaranga, par exemple, une localité située en territoire de Béni, Leroux comptait installer une ferme pour les prisonniers. Ce projet visait à initier des détenus à l’agriculture et à l’élevage qui pourraient les aider à trouver de la nourriture et leur permettre de s’acquitter des amandes. Ce terrain aurait été également spolié. Seul Mavono reste son champ d’activités. Actuellement il y encadre des jeunes désœuvrés dans le domaine de l’agro-pastoral.

Claude Sengenya/Kengele N°32