Crédit: Umbo Salama

La situation difficile des journalistes en République Démocratique du Congo

Au Nord-Kivu, en RDC, des journalistes travaillent dans un environnement violent, accèdent difficilement aux sources d’information ainsi qu’aux formations… Pour recevoir à la fin un salaire faible, des humiliations et des intimidations. Ils restent toutefois fiers d’être journalistes dans une zone exposée aux phénomènes de violence.

« Travailler pour quelques francs congolais en vue d’être un homme de valeur dans la société », c’est le portrait que le chercheur Maombi Mukomya dresse sur la situation des journalistes radio qui officient dans les territoires de Beni-Lubero, à l’extrême-Est de la RDC. Il s’agit des recherches menées dans 92 stations de radio se trouvant à Beni-ville et Beni-territoire ainsi qu’en ville de Butembo et en territoire de Lubero. Ce tableau de la vie des journalistes de la partie Nord de la province du Nord-Kivu, à l’Est de la RDC, a été présenté en marge de la célébration de la journée de la liberté de la presse.

Pour y arriver, il a procédé à des questionnaires d’enquête ainsi qu’à des entretiens interpersonnels. « Pour des radios qui se trouvent dans des zones où règne peu de sécurité comme à Butembo, Beni ville, Oicha,… nous avons nous-mêmes échangés avec des journalistes sur leur travail. Mais dans des zones où il y a de l’insécurité, nous nous sommes faits aider par des personnes qui connaissent mieux la zone », explique Maombi Mukomia.

Dans la région, nombreux sont ceux qui n’ont pas de carte presse permettant de les identifier comme journalistes selon la loi de 1981 portant sur le statut de journaliste en RDC*. Aussi, la majorité a un âge qui varie entre 18 et 30 ans. « C’est un bastion masculin avec 82,2 % d’hommes et 17,8 % de femmes », explique le chercheur.

Les ONG, leader dans la formation des journalistes

Côté formation des journalistes, plus de 47 % ont un diplôme d’Etat et plus de 48 % ont au moins un diplôme de l’institut supérieur ou universitaire. Dans certains médias, le fait de mieux s’exprimer en français ou même d’enseigner des cours de langue à l’école secondaire suffit pour vous recruter comme journaliste. « Nombreux sont ceux issus de cursus comme la pédagogie générale, le social ou le latin, la philosophie… Il faut aussi reconnaître que le nombre de journalistes qui ont des diplômes en sciences de l’information et de la communication est aussi en hausse dans ces radios », renchérit Maombi Mukomya.

Des journalistes participent à une formation sur le journalisme de paix organisé par l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ) et l’Union Nationale de la Presse au Congo (UNPC) / Crédit : Umbo Salama

D’autres expliquent que c’est grâce aux ONG et certains regroupements médiatiques qu’ils ont eu accès à certaines notions sur le journalisme. Cet apport est même évalué à hauteur de ¾ par certains participants. Des problèmes organisationnels de taille subsistent toutefois, car ce sont parfois les mêmes personnes qui accèdent plusieurs fois à ces formations. Et ceux qui participent à ces formations ne vont pas forcément restituer leur contenu à leurs collègues. Le chercheur fait remarquer par ailleurs qu’il y a une absence de formations continues dans les rédactions elles-mêmes.

Les ONG qui forment des journalistes jouent aussi un grand rôle dans leur survie financière et même dans la politique managériale des radios. Un journaliste peut gagner entre 100 et 400 $ dans sa collaboration à des productions radio, des émissions ou autres organisées avec une ou plusieurs ONG, par exemple avec CORACON (Collectif des radios et télévisions communautaires du Nord-Kivu), SFCG (Search for Common Ground) ou Internews. Pendant la riposte contre la dixième épidémie d’Ebola en RDC (2018 – 2020), certains journalistes ont pu réalisé leur rêve comme s’acheter une parcelle et y construire une maison ou bien s’acheter une voiture. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde, loin de là… « Je suis journaliste et enseignant à l’école primaire à la fois. Mais je n’ai jamais pu réalisé ce que j’aurais souhaité en deux ans », explique un journaliste qui a voulu rester anonyme. 

Crédit : Umbo Salama

Fierté et reconnaissance du public

Le journaliste du Nord-Kivu fournit un travail bien plus important que ce que suppose son salaire, très faible. Plus de 55 % sont sans contrat de travail et plus de 15% travaillent sous le statut de stagiaire même pendant plus de cinq ans. A part ceux qui travaillent dans la radio officielle, la RTNC, ou la radio onusienne Okapi, ils sont une minorité à pouvoir bénéficier d’un salaire qui se situe entre 100 et 500 $ le mois. Malgré cette maigre rémunération, ma majorité des journalistes n’abandonnent pas leur métier. Au contraire, la profession ne cesse de compter des nouveaux membres. « Ceux qui veulent abandonner ne dépassent même pas 5% », démontrent les recherches conduites par Maombi Mukomya sur la situation du journalisme à l’Est de la RDC.

Ceux qui disent qu’ils ne sont pas prêts à abandonner se justifient par la fierté du travail, mais aussi par le fait qu’ils sont respectés dans la société. « Après le boulot, il y a des gens qui vous envoient des messages d’encouragement. D’autres peuvent vous inviter à prendre une bière. D’autres encore peuvent vous glisser quelques sous. Et quand on dit votre nom en public, le sourire, l’étonnement des gens vous enthousiasment encore », reconnaît un journaliste qui travaille dans une radio en territoire de Beni. Ce métier permet aussi aux journalistes de rentrer en contact avec des personnalités publiques.

Le « coupage », salaire informel ou corruption ?

D’autres persistent dans le métier du journalisme en raison du « coupage ». Dans la sphère médiatique en RDC, ce mot désigne un pourboire qu’une source remet aux journalistes à la fin d’un reportage, d’un point de presse ou d’une interview. Il est devenu un véritable rite.  Les défenseurs de l’éthique qualifient ce « coupage » de corruption discrète qui entache la liberté rédactionnelle du journaliste.

« Actuellement il a des défenseurs du journalisme éthique et ceux du journalisme atypique. Mais face à la situation du terrain, est-ce qu’on ne peut pas aller jusqu’à normaliser le fameux coupage ? Au lieu de le stigmatiser, est-ce qu’on ne peut pas l’institutionnaliser en tant que source de revenu pour les journalistes ? », s’interroge le professeur Kamathe Mbuyiro, chercheur et enseignant à la faculté des sciences de l’information et de la communication de l’Université de Kinshasa (UNIKIN). Pour le professeur, le questionnement demeure : « Qui n’a jamais pris le coupage » demande-t-il tout haut alors que les premiers concernés pensent sûrement la même chose tout bas…

Crédit : Umbo Salama

D’autres encore combinent plusieurs métiers. Ils n’ont pas le journalisme comme activité principale. Ils sont à la fois enseignant ou agent dans des services administratifs de l’Etat ou encore conducteur de moto taxi ou même gardien. « Est-ce que c’est mal pour un journaliste de devenir enseignant, policier, chargé de communication ou même d’élever des poules et de cultiver son champ ? », s’est toujours interrogé Freddy Bikumbi, qui intervient dans la formation des journalistes.

Avec Internet, le journalisme devient encore plus ouvert avec plusieurs opportunités : pigiste, fixeur et reporteur freelance. « Nos rédactions locales nous servent en grande partie d’adresse. Mais on bosse beaucoup pour des chaines internationales. Ici pour un reportage vous pouvez gagner même le triple voire six fois plus que ce que la radio locale vous paie le mois! Vous avez aussi la chance de travailler pour plusieurs médias à la fois. Quand vous faites le total à la fin du mois, vous trouvez que vous n’avez rien à envier à un agent dans une ONG humanitaire  », explique notamment un journaliste de Butembo, au Nord-Kivu.      

Un environnement violent qui fragilise le journalisme

La zone est violente avec la multiplicité des hommes en armes. Il y règne l’insécurité, le vol, les agressions sexuelles et sexistes, le pillage, même des cas de tuerie et de kidnapping… A côté de cette situation générale, des professionnels des radios indiquent qu’ils subissent aussi des violences psychologiques et physiques. Ils peuvent subir ces violences sur le terrain lors de la récolte des informations ou même dans leurs rédactions. « On peut utiliser des termes peu valorisants ou vous humilier. D’autres vous intimident soit en face soit au téléphone. Il y a aussi des femmes qui sont harcelées sur le terrain. Cela peut arriver qu’une source envoie plus de 50 messages à une journaliste qui est venue chercher des infos », se désole un rédacteur en chef d’une radio de Beni qui pointe du doigt le harcèlement. Des conditions de travail qui fragilisent toujours plus la qualité de l’information en République Démocratique du Congo.

*A l’époque, il s’agissait encore d’une loi de la République du Zaïre

Umbo Salama

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Auteur·e

salamaonline

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