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Trop de députés avec des pages blanches au parlement congolais

Le 14 mars 2022, c’était la fin des trois mois de vacances parlementaires en RDC. Des honorables sont censés profiter de cette période pour se rendre dans leurs bases afin de s’enquérir de la situation de leurs électeurs. Par la suite, ils produisent un rapport sur les difficultés auxquelles sont confrontées les populations. Mais, nombreux sont des députés qui viennent avec des pages blanches.

Le rapport du groupe d’étude sur le Congo, du 9 mars 2022, à travers le projet « Talatala » indique qu’entre juin 2020 et mars 2021, 150 sur 181 circonscriptions électorales ont été couvertes par un rapport des vacances parlementaires. Autrement dit, 31 autres n’ont pas été concernées car, très souvent, aucun de leurs députés ne s’y est rendu.

Ces chiffres deviennent inquiétants lorsque l’on considère le nombre des députés qui ont déposé leur rapport de vacances parlementaires : seulement 287 sur 500. Ce qui voudrait dire que 40 % des députés n’ont pas séjourné dans leurs circonscriptions pendant les vacances parlementaires. En cause : ils sont nombreux à ne pas séjourner dans leurs circonscriptions, préférant passer leurs vacances soit à Kinshasa, soit à l’étranger.

En effet, pour la première fois depuis le début de la législature, les députés ont débattu, le 21 octobre 2021, des conclusions de la synthèse des rapports des vacances parlementaires. Ce jour-là, l’Assemblée nationale vit, sans grand bruit, une petite révolution. Jusqu’ici, ces documents n’avaient jamais été soumis en plénière pour délibération. Ils étaient simplement approuvés sans débat.

Des recommandations sans suite

La majorité des circonscriptions abandonnées par leurs élus se situe dans la capitale Kinshasa, les régions de l’ancienne province du Bandundu et celles du Nord-ouest, dans l’ex-Equateur et du Kasaï. « Le territoire de Tshikapa, dans la province du Kasaï, est la circonscription la plus délaissée par ses députés. Aucun de ses sept députés n’a rendu un rapport », affirme le baromètre de l’activité parlementaire.

Pourtant, le règlement intérieur de l’Assemblée nationale stipule : « Pendant les vacances parlementaires, chaque député séjourne, d’une façon ininterrompue, pendant un mois au moins dans sa circonscription électorale (…). À la fin des vacances parlementaires, le député dresse, conformément au canevas établi par le Bureau de l’Assemblée nationale, et dépose auprès de ce dernier, un rapport sur la vie politique, administrative, économique, sociale et culturelle de l’entité ».

Mais certains députés se dédouanent qu’ils sont « fatigués », car leurs recommandations ne sont jamais prises en compte. D’autres font état de l’enclavement de leurs circonscriptions avec comme conséquence le coût élevé de leur déplacement, alors que l’Assemblée ne prévoit pas de défraiement. Un argument qui ne tient pas debout pour le cas de Kinshasa. « Sur 55 députés de la capitale, seulement 27 ont déposé leur rapport », relève le GEC (Groupe d’Etude sur le Congo).

Paresse et déficits méthodologiques

« Plusieurs raisons sont à la base de cette mauvaise habitude », nous explique Honorable Remy Mukweso a l’issue de ses vacances en ville de Butembo, en province du Nord-Kivu. Il poursuit qu’il y a d’abord un grand nombre de députés qui négligent les vacances parlementaires et préfèrent rester à Kinshasa. « De deux, c’est la paresse de rédiger le rapport. Certains députés sont trop paresseux, ils n’ont pas le temps de rédiger un rapport ». Pourtant plusieurs députés ont des assistants parlementaires. « Mais il peut arriver que lui aussi n’a pas des capacités de rédiger un rapport parlementaire », embraye-t-il.

Des élus confondent séjourner dans la circonscription électorale et passer réellement les vacances parlementaires.

Aussi la constitution et la loi électorale offrent à des personnes ayant de profils variés de se retrouver dans les assemblées nationale et provinciale. Certains peuvent avoir des aptitudes à rédiger des rapports et d’autres non. « Les assemblées nationale et provinciale ont autorisé aux élus de se faire aider par les assistants et qui payés par les Assemblées, mais les députés, plutôt que de recruter des assistants compétents, capables de les accompagner dans la réalisation de ce devoir de produire les rapports des vacances ils préfèrent nommer leurs épouses, frères, enfants ou militants ayant participé à la campagne. Et malheureusement qui n’ont pas des capacités exigées par la particularité du travail d’assistant parlementaire », déplore Kighusu Richard, universitaire et chercheur en planification régionale.

Selon Maître Sekera Kivasuvwamo, assistant du député provincial du Nord-Kivu, Kalendi Pamugi, ces rapports sont censés édifier aussi bien la représentation nationale que le gouvernement qui doit travailler au quotidien sur les solutions à apporter aux problèmes de la population dans chaque coin de la République. « De mon point de vue c’est un indice d’une faible conscience de la responsabilité qui est la leur », indique-t-il.

Docteur en Science politique et administrative, Professeur Augustin Kahindo Muhesi Augustin pense qu’il y a aussi un déficit de formation en  matière de récolte des données et de rédaction des rapports parlementaires. « Nos élus confondent séjourner dans la circonscription électorale (question de réanimer les électeurs pour être sûrs de leur soutien aux prochaines échéances électorales) et passer réellement les vacances parlementaires. En allant dans leurs fiefs, les députés y vont pour juste raviver l’électorat et y distribuer des biens, de l’argent et des promesses, afin de maintenir les électeurs sous leur contrôle », indique Kighusu Richard.

Absence des sanctions

Nombreux sont aussi ceux qui pensent qu’il y a manque de rigueur du bureau de l’assemblée nationale pour obliger chaque député de déposer son rapport parlementaire. « Il y a aussi absence de sanction pour ceux qui ne rendent pas leurs rapports », indique Professeur Augustin Kahindo Muhesi. « C’est donc une défaillance et un manquement à ses obligations pour un député national ou provincial quand on ne présente pas son rapport des vacances parlementaires », se désole Maître Sekera.

Lors d’une émission de tribune de la presse « Paroles au pluriel », une émission diffusée sur plusieurs radios de Butembo et environs, des intervenants constatent que des députés rendent plus compte et se défoulent dans les réseaux sociaux et certains médias de leur obédience que de représenter la population. « Deux choses essentielles préoccupent nos députés. La première c’est sa survie et celle de sa famille. La deuxième c’est sa réélection. Le reste n’est pas une priorité… », pense Wema Kennedy, journaliste-écrivain et chercheur et qui intervient de fois dans cette émission.

Concrètement aucun député n’a peur de rien, en terme de sanction pour n’avoir pas déposé un rapport des vacances parlementaires. « Les assemblées devraient aller jusqu’à retenir les frais liés aux vacances parlementaires pour les députés qui ne rendent pas compte. Il s’agit de considérer ce manquement au même titre que le détournement des fonds publics et le sanctionner comme tel ».

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Auteur·e

salamaonline

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